Dans mon établissement comme ailleurs, les élèves sont exposés aux dépendances et aux usages problématiques de diverses consommations (tabac, alcool, drogues dites « douces », jeux vidéos, vie sur-connectée…). Parmi diverses mesures, la direction et des conseillers d’éducation m’ont demandé d’explorer une activité de sensibilisation originale dans notre lycée , avec l’aide d’Emmanuelle Kantorow, intervenante spécialiste de l’association Infordrogues.
Ensemble, nous avons choisi de nous adresser à des élèves de troisième et de seconde, un âge sensible pour les premières dépendances. Il ne s’agissait évidemment par de faire de la prévention par la peur (peu efficace), mais de susciter la réflexion et le dialogue autour des consommations et des dépendances.
Voici le canevas de cette activité de 3 heures environ. L’opération nous semble avoir bien fonctionné sous cette forme, — qui reste certainement à améliorer.
Étape 0 : tirage au sort et installation
Il est intéressant de tirer au sort les élèves participants. Le hasard permet une meilleure représentativité des participants, en comparaison au volontariat, qui mobilise généralement des profils peu variés (ce principe a d’ailleurs un enjeu considérable en politique, comme le montre l’essai décapant de David Van Reybrouck, Contre les élections).
Il est intéressant aussi de mélanger les niveaux scolaires, les élèves ayant généralement trop peu d’occasion d’échanger entre niveaux différents.
J’ai donc établi un tableur contenant les noms de tous les élèves de troisième et de seconde de notre école. J’ai ensuite utilisé un outil de classement aléatoire (Random Generator sur Google Spreadsheet) et sélectionné les quarante premiers numéros d’élèves de troisième et les quarantepremiers numéros d’élèves de seconde. Les conseillers d’éducation se sont chargé de transmettre les convocations individuelles aux élèves.
La salle de réunion, suffisamment grande pour accueillir 80 élèves, a été équipée avec :
- un projecteur,
- un ordinateur connecté,
- un microphone.
Les élèves ont été répartis en dix tables de huit personnes (quatre élèves de troisième et quatreélèves de seconde), cinq tables étant « francophones » et cinq autres « anglophones » (dans mon établissement européen il y a 8 sections linguistiques !).
Diaporama de la séance
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Étape 1 : quiz
Première séquence : un petit questionnaire de cadrage. Quatre affirmations doivent être évaluées comme vraies ou fausses : 1) le cannabis est légal en Belgique ; 2) le cannabis est une drogue douce ; 3) l’alcool ce n’est pas de la drogue ; 4) il est légal de boire de l’alcool avant 18 ans.
Après chaque affirmation, les groupes disposent de deux minutes pour déterminer la bonne réponse et ses raisons. La collecte des réponses est réalisée avec l’application mobile plickers (que je présente ici), permettant aux groupes de répondre en présentant un code imprimé et de projeter immédiatement les statistiques des réponses sur l’écran de la salle.
A partir des résultats, l’intervenante fait une reprise et un cadrage factuel et définitionnel (avec traduction en anglais pour les élèves non francophones).
Cette séquence permet d’élaborer la notion d’usage problématique, au-delà de la nature des substances.
Étape 2 : atelier sur l’influence
• On dispose sur chaque table une assiette de chips (des pringles : irrésistible !).
• On attribue des rôles aux élèves :
- quatre élèves tiennent le rôle de « consommateurs » (ils peuvent manger des chips et doivent convaincre les « abstinents » d’en consommer),
- deux élèves tiennent le rôle de « abstinents » (ils ne doivent pas manger de chips et doivent contre-argumenter),
- deux élèves tiennent le rôle d’ « observateurs« .
• Le défi dure sept minutes.
Une fois le temps écoulé, on invite les « abstinents » à venir rendre compte de leur expérience. Les animateurs peuvent aider les « abstinents » à formuler et analyser leur vécu. On souligne ainsi les mécanismes de l’influence du groupe et la difficulté d’y résister.
« Concernant la consommation de substances psychotropes, hormis la première consommation d’alcool qui semble encore se dérouler dans le cadre familial, l’initiation des jeunes aux substances telles que le tabac, le cannabis et l’ecstasy est généralement réalisée avec leurs pairs. Les chiffres concernant l’invitation à consommer du cannabis montrent que la proposition émane le plus souvent des amis et des copains. » (Source : Infordrogues)
On souligne aussi le droit et la liberté de résister à la pression, et comment cette liberté est renforcée par la construction d’une argumentation solide.
« [Ce jeu] vise à faire réfléchir (chaque jeune) sur l’importance du choix individuel par rapport à la pression des pairs au sein d’un groupe tout en (lui) apprenant les moyens de faire ce choix en individu qui prend ses décisions de façon autonome, libre. » (Source : Infordrogues)
Étape 3 : atelier sur les motivations
Ici, on demande à chaque groupe d’identifier toutes les motivations pouvant amener à des consommations dépendantes. Le remue-méninge dure sept minutes.
Ensuite, un représentant de chaque groupe est invité à donner une ou deux motivations. Chaque proposition est placée sur une carte d’idées (mindmeister) projetée à la salle.
Puis on mène un exercice collectif de catégorisation pour regrouper les motivations sous trois grandes catégories : le lien social, le plaisir et l’auto-thérapie.
S’il reste du temps, on peut encore proposer une activité de remue-méninge pour définir la notion de dépendance, et encore une autre pour imaginer des alternatives permettant de répondre aux motivations de manière non dépendante.
Avez-vous réalisé des activités similaires dans vos établissements ? Nous reprendrons volontiers ce dispositif dans le futur et nous serions très heureux de l’améliorer.
Merci beaucoup pour ce partage.
Dans un collège où j’interviens comme animateur de dialogues à visée philosophique (approche Michel Tozzi), avec un ou deux responsables pédagogiques, nous pensons à instaurer des pratiques de médiation (genre « Médiation par les pairs » de « Génération Médiateurs » http://www.gemediat.org/.
Publiez-vous sur votre site une expérience de partage dans ce domaine ?
Merci encore pour le travail que vous faites.
René Guichardan
Bonjour René,
Merci pour votre message. Je n’arrive malheureusement pas à ouvrir le site…
Non, je n’ai pas d’autres expériences de ce type à ce jour, je reste à l’écoute de vos conseils pour le futur, notamment sur la médiation.
Cordialement,
Mes parents ayant travaillé avec des drogués durant mon enfance (et ayant perdus le fils de ma directrice de maternelle dans une overdose), je n’ai personnellement jamais consommé.
De plus je ne suis évidemment pas partisan d’encourager la consommation de psychotropes par des adolescents – d’ailleurs même dans les sociétés où leur consommation est traditionnelle c’est une pratique adulte, voire rituelle, pas laissée aux enfants.
Mais est-ce possible de faire une présentation non moraliste des dépendances sans parler de la possibilité (et des limites, certes) d’une consommation maîtrisée?
Bonjour,
Mme Kantorow et moi-même avons particulièrement pris soin d’eviter l’approche moralisante. Mon compte-rendu vous a-t-il donné l’impression contraire ?
Pas le compte-rendu en tant que tel mais le fait qu’il fasse l’impasse sur l’usage maîtrisé…
Cela dit j’imagine bien que cela doit être très difficile à faire, les adolescents ne retenant d’un discours que ce qu’ils veulent bien – et je ne suis même pas sûr que j’apprécierais que leur prof explique à mes hypothétiques ados comment avoir un usage maîtrisé des drogues.
En effet. Le compte-rendu n’est pas exhaustif (je me suis concentré sur le dispositif « matériel »). Nous avions élargi le débat aux consommations au sens large (pas seulement les drogues).